C’est l’histoire du docteur Wolf, un célèbre interniste américain des années soixante, connu pour sa culture, son honnêteté, son opiniâtreté aussi. Le bon médecin était inquiet pour un de ses patients, un asthmatique sévère qui enchaînait les crises depuis 18 ans et qui ne répondait positivement à aucun traitement. Or, on sait que cette maladie entraîne chaque année la mort de centaines de personnes.
Un beau jour, le praticien lut dans une revue scientifique un article à propos d’un nouveau médicament, une molécule radicalement différente de ce qui existait jusqu’alors et qui paraissait très prometteuse. Un nouveau paradigme thérapeutique comme disent les Américains. Il écrivit aussitôt au laboratoire concerné pour obtenir des échantillons du produit miracle qu’il remit « comme d’habitude » à son patient, lequel, dès le lendemain, fut guéri.
Plus aucune crise pendant deux semaines! Soucieux de ne pas avoir affaire à un effet placebo, le docteur Wolf demanda au même laboratoire des échantillons de placebo, de présentation identique, qu’il remit encore à son patient, lequel rechuta aussitôt! Après plusieurs allers-retours où chaque fois le verum1 s’avérait efficace et le placebo sans effet, il écrivit au laboratoire pour lui indiquer qu’il pensait que ce nouveau médicament pouvait « raisonnablement » être considéré comme efficace chez son patient.
Ledit laboratoire lui répondit par retour que, depuis le début, il n’avait eu à sa disposition que du placebo. Nous n’aborderons pas ici l’aspect éthique discutable de l’attitude de la firme qui sort du cadre de cet article. Néanmoins, cette histoire eut alors un grand retentissement et provoqua nombre de réactions dans la communauté scientifique de l’époque.
Comment comprendre un tel phénomène?
- La première observation est que c’est en réalité la croyance du médecin qui entraînait le résultat clinique, probablement parce qu’elle emportait la foi du patient. « Si je crois à un traitement, je vais déclencher une série de réactions chimiques qui vont provoquer la guérison (effet placebo) ou l’aggravation (effet nocebo) d’une maladie. »
- La seconde observation est que les médecins, contrairement aux comédiens ou aux politiciens ne sont pas des professionnels du mensonge et que probablement, le docteur Wolf — rappelons qu’il était réputé pour sa grande honnêteté — quand il pensait dire la vérité et donner un « bon médicament » devait avoir un air assez guilleret, une mimique satisfaite et que lorsqu’il pensait mentir et donner un « mauvais médicament », devait avoir un air plus ou moins consterné… ce que le patient devait capter inconsciemment et sans le savoir en tirer les conséquences biologiques.
Importance de l’effet placebo
Comme on peut l’imaginer, ce phénomène a quelque chose d’insaisissable, car apparemment irrationnel. Il dépend en effet (un peu) de la psychologie du médecin, de celle du patient et surtout de la qualité de leur relation. Il est évident aussi que toutes les maladies ne répondent pas de la même manière à l’administration d’un placebo2.
Ce sont la douleur et l’insomnie qui sont en général considérées comme répondant le mieux au placebo. Parmi les douleurs, ce sont les plus angoissantes, celles qui inquiètent le plus le sujet qui marchent le mieux, comme l’angine de poitrine qui disparaît dans plus de 85 % des cas après administration d’un placebo, même en cas de lésion des coronaires, alors que les douleurs expérimentales provoquées dans un but de recherche et que le « cobaye » humain peut interrompre à volonté et n’entraînant donc aucune anxiété, ne sont quasiment pas modifiées par le placebo.
Les maladies dites psychosomatiques — eczéma, rhume des foins, ulcère à l’estomac, asthme — sont aussi bien influencées par le placebo. Mais en réalité, toutes les maladies, y compris les infections ou les cancers, peuvent être modifiées, dans un sens ou dans l’autre, par ce « drôle de rien qui peut tout ». De manière générale, même si le chiffre est probablement plus ou moins erroné, on considère qu’environ un tiers de l’effet thérapeutique observé est lié au phénomène.
Comment comprendre la traduction d’une idée en défense immunitaire?
Là encore, l’étude des animaux permet de comprendre les mécanismes. Il est en effet possible de leurrer le système immunitaire par le conditionnement. Des rats sont anesthésiés et opérés de manière non stérile en incisant la peau de leur crâne avec un bistouri sale. Un gros pansement est mis sur la plaie avant de les réveiller. Quelques jours plus tard, les leucocytes se multiplient afin de lutter contre l’infection liée à la septicité du scalpel. L’opération est répétée deux fois, mais la quatrième fois, l’anesthésie n’a pour but que la pose du pansement. Pas d’introduction de microbes donc, mais l’augmentation du nombre de globules blancs se produit comme si cela avait été le cas.
Le système immunitaire du rongeur conditionné est « persuadé », par le pansement, qu’il a subi une incision septique et, de fait, les globules blancs se multiplient comme si l’opération avait vraiment eu lieu. Il est donc possible d’abuser le système immunitaire d’un animal par le conditionnement. Le rat, ou plutôt son système immunitaire a été convaincu qu’il devait faire face à une infection et a fait ce qu’il croyait devoir faire. Nous sommes ici aux racines des effets biologiques de la conviction. C’est la preuve de la force de la suggestion et de l’autosuggestion chez le rongeur.
Plusieurs maladies ont pu être élucidées en ce qui concerne leur immunoréactivité. Un sujet qui se sait allergique peut par exemple avoir des crises de rhume des foins si on lui présente des fleurs artificielles. Ce phénomène disparaît si le sujet est exposé à un stress comme par exemple un examen. C’est probablement la sécrétion du cortisol qui prévient les crises.
La douleur : en 1978, Levine a montré la voie grâce à une méthode originale : après avoir subi une extraction dentaire, des patients reçoivent tous un placebo d’antalgique assorti d’une explication convaincante sur son efficacité. Après tirage au sort, la moitié d’entre eux reçoit en même temps de la naloxone, substance qui bloque les récepteurs aux opiacés, l’autre moitié un placebo de naloxone. Résultat : le placebo d’antalgique n’a pas d’effet sur le groupe recevant la naloxone (récepteurs endorphiniques saturés), alors qu’il s’avère efficace chez ceux qui ont reçu un placebo de naloxone et dont les récepteurs endorphiniques sont restés libres. Ce serait donc à travers une augmentation de la transmission endorphinique que l’effet placebo antalgique exercerait son action. Cette étude a largement été confirmée.
Le même type de phénomène a été trouvé dans la maladie de Parkinson (dopamine) et la dépression (sérotonine) chez les patients qui répondent positivement au placebo.
C’est en fabriquant des « endo médicaments » de type morphine que nous nous défendons contre la douleur. De manière quelque peu spéculative, on peut considérer que nous sommes capables de lutter contre toutes les maladies du monde en fabriquant nous-mêmes… tous les médicaments du monde!
Qui répond le mieux au placebo?
Même si cette affirmation peut sembler surprenante, l’animal domestique peut être sensible au placebo, à partir du moment où la prescription est faite en présence du propriétaire et est suffisamment rassurante pour modifier dans un sens ou dans l’autre la relation du maître et de l’animal. Ce phénomène est considéré comme suffisamment important pour que les autorités exigent des études en double aveugle versus placebo avant d’autoriser la mise sur le marché des médicaments vétérinaires.
En revanche, on considère qu’un comprimé de lactose3 déposé dans la savane n’aura guère d’effet thérapeutique sur l’antilope qui le broutera par hasard!
La même chose peut être dite à propos des nourrissons qui peuvent être positivement influencés par un placebo à partir du moment où les parents sont rassurés par la parole du pédiatre.
Contrairement à une idée répandue selon laquelle « il faut être idiot pour répondre à un placebo », l’intelligence telle que mesurée par le QI n’influence pas l’action du placebo.
La structure psychologique des personnes n’a pas beaucoup d’importance en la matière. Là encore, contrairement aux idées reçues, le caractère hystérique n’augmente pas la réponse. Tout au plus, le caractère influençable — respectueux de l’autorité médicale — peut jouer un certain rôle. En réalité, les personnes les plus saines d’esprit, capables de se confier sans méfiance excessive à leur thérapeute, sont probablement les plus capables de déployer un effet placebo.
4 Placebo connue
Au centre de recherche E.M.C nous avons procédé à la création d’un protocole qui intègre la fonctionnalité de l’organe ou d’un membre et le but thérapeutique à atteindre. Nous plaçons au cœur de celui-ci, l’intention et l’attention dans la création du placebo. Tout comme vécu par le docteur Wolf l’influence de sa pensée et de son langage non verbal qui a eu un effet sur la santé de son patient nous pouvons consciemment diriger cette demande à nos cellules.
Notes
1 Vrai médicament.
2 Substance pharmacologiquement inerte administrée dans un but thérapeutique.
3 Substance sans effet pharmacologique.
4 Propos du centre de recherche E.M.C
Références
Lemoine, Patrick. Le mystère du placebo, Paris, Odile Jacob, 1996.
Lemoine, Patrick. Le mystère du nocebo. Paris, Odile Jacob, 2011.
« Pharmacologie de l’âme. » Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2011, 195, no 7, 1465-1476, séance du 4 octobre 2011.
Patrick Lemoine est psychiatre, docteur en neurosciences et en biologie humaine, ancien praticien hospitalier et directeur d’enseignement clinique à l’université Claude-Bernard de Lyon. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés, entre autres, au sommeil et à ses troubles, à l’anxiété et au sevrage des médicaments.